L'Écoute collaborateur en entreprise : que dit la philosophie ?

L'Écoute collaborateur en entreprise : que dit la philosophie ?

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Dans les dernières actualités, on constate un intéressant parallèle. D’un côté, Emmanuel Macron ouvre la voie à une réforme du système de référendum d’initiative populaire, qu’il veut plus accessible et systématique. De l’autre, on constate depuis quelques années que la majorité des entreprises s’équipent en solution d’écoute collaborateur afin de récolter régulièrement les opinions de leurs salariés.

Il y a dans ces initiatives une volonté de se rapprocher de la base. A la fois car sans sa base un dirigeant – d’une entreprise ou d’une nation – n’est rien. Et à la fois car la base « voit » le terrain : elle est la première tributaire des nouvelles tendances.

Référendum et écoute du peuple : ces mouvements n’ont rien de neuf et tirent leurs racines dans les âges les plus anciens. Par les siècles, de nombreux philosophes se sont penchés sur la question de la représentativité des citoyens dans un collectif qui les dépasse, par sa taille et son ambition. Et si les entreprises modernes ne sont pas des démocraties, elles s’inspirent largement de ces méthodes.

 

La philosophie et ses enseignements pourraient s'avérer précieux dans nos structures professionnelles qui plus que jamais cherchent à se réinventer en quête de productivité et de sens. Alors aujourd’hui, comment un dirigeant doit-il interroger ?

 

Démocratie directe, démocratie indirecte, et l’entreprise

La démocratie, du moins au sens athénien, tire ses origines au 5e siècle av. JC. Dans la démocratie directe, chaque individu participe activement aux décisions collectives. Rousseau, dans "Du Contrat Social", argumente que cette forme est l'expression pure de la volonté générale : elle est sans intermédiaire et donc assurée de représenter le peuple. Dans les penseurs de la démocratie directe on trouve Hannah Arendt, le Marquis de Sade ou Robespierre.

 

Celle-ci se heurte néanmoins à deux écueils : comment accorder des opinions discordantes à grande échelle ? Et comment s’assurer que chaque individu participe également, quel que soit ses occupations, son rang social ou ses vertus ? Pour tenter de résoudre ces problèmes, la démocratie indirecte est née.

 

Dans la démocratie indirecte ou représentative, on confie le pouvoir à des élus qui représentent les intérêts du peuple. Ou du moins en sont-ils censés ! Dans le camp de la démocratie indirecte, on trouve Montesquieu qui argumente dans "De l'Esprit des Lois", que c’est la seule forme de démocratie permettant une gestion plus pragmatique des affaires publiques dans des sociétés complexes. L’idée est que le citoyen n’a pas quotidiennement le temps de se consacrer à l’étude du « mieux pour sa cité ». Il délègue donc cette tâche à des pairs qui eux ont le temps de penser à ses intérêts.

 

Dans le monde, s’il reste quelques traces de démocraties directes – dont nos voisins helvètes qui participent régulièrement à des référendums, la majorité des pays ont adopté la démocratie représentative. La raison est simple et expliquée par Tocqueville dans "De la Démocratie en Amérique" : la démocratie représentative devient préférable dès lors que les sociétés augmentent en taille et en complexité.

 

Cette évolution est parallèle à la croissance des entreprises modernes, où des structures de gestion représentative deviennent nécessaires. Là où, lorsque l’entreprise est encore petite, les dirigeants peuvent être proches des salariés et où la parole est bi-directionnellement fluide, les ETI et Grands Groupes font eux face à une inertie de communication plus grande. Les salariés se spécialisent et tous les collaborateurs n'ont pas le temps ou la ressource de penser quotidiennement aux meilleures décisions stratégiques pour l’entreprise. On dédie donc des personnes pour représenter les besoins de chaque équipe (les managers, les « leads ») ou à évaluer les besoins du collectif en transverse (les fonctions support : RH, finance, …).

 

Certes, les managers ont pour objectif de représenter leurs équipes. Mais on ne devient pas manager à l’approbation générale de ses pairs. On est « élu par le haut ». Et une fois élu, on est rarement soumis à une période de probation à l’issu de laquelle notre mandat est renouvelé selon l’opinion de nos collègues.

 

Pourtant, c’est le manager qui, tout comme un élu, est sensé « sentir » le terrain et remonter les problématiques qui en découlent. Il est le véritable pivot des décisions de l’entreprise. Décisions qui sont par ailleurs appuyées par les avis des plus hauts managers de managers. Comment donc mettre en responsabilité un manager qui est « élu à vie », sans l’approbation préalable de ses subordonnés ?

 

Écouter les collaborateurs, communiquer sur les actions

La première pierre d’une démocratie représentative est l’information. “La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple”, affirme en 1789 Jean-Sylvain Bailly, Président du Tiers-État et premier Maire de Paris. Afin de juger ses représentants élus, le peuple a besoin de savoir quels sont ses agissements et ses décisions. Dans l’entreprise, on parle souvent de « communication interne », sans pour autant prêter attention à cette partie. La communication doit aussi mettre en avant cette « responsabilité du haut » de mener à bien des actions pour les collaborateurs. Un dirigeant bien avisé veillera donc à mettre en avant les actions qui sont des idées directes des collaborateurs, ou qui vont dans leur sens. Difficile de faire cela en faisant une enquête interne une fois par an : les collaborateurs attendent une régularité plus forte de la prise en compte de leurs opinions. Il faut donc créer un système qui réduise au maximum le délai entre la proposition du collaborateur, et l’information de sa prise en compte par les instances dirigeantes. Il ne s’agit pas dans un premier temps de garantir l’action, mais à minima de notifier d’une écoute active (c’est en tout cas notre conseil le plus récurrent chez Supermood !).

 

Après l’information, la deuxième pierre angulaire de la démocratie représentative est le jugement. Une fois informé, le peuple doit pouvoir juger de la qualité des actions menées. Et s’il juge ces actions délétères pour la cité, il doit pouvoir agir immédiatement – ou à minima interpeler les instances dirigeantes. Dans l’entreprise, le top-management délègue à ses représentants locaux une partie de ses pouvoir : juger la qualité, fixer les objectifs, promouvoir les bons éléments, etc. Par ce fait, il délègue une partie de son image. Ainsi, un mauvais management intermédiaire rejaillit rapidement sur l’adhésion des collaborateurs aux décisions de la direction. Pour éviter cela, celle-ci doit régulièrement s’assurer qu’aucun abus n’est commis en son nom. Elle doit donc mettre en place des garde-fous. Pour Montesquieu « pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Or, quand l’information montante est uniquement contrôlée par le management intermédiaire, il est impossible de juger des abus de pouvoirs locaux. L’écoute directe est donc nécessaire : il faut mettre en place des systèmes de retours directs entre collaborateurs et direction. Les enquêtes anonymes sont par exemple un moyen de s’assurer qu’il n’y a pas de « pouvoir qui ne trouve sa légitimité que dans lui-même » exercé par les managers directs. Il existe d’autres exemples : la calibration lors des revues de performance, les lignes d’écoute psychologiques, etc. D’autant de moyens pour se prémunir contre les abus.

 

Un bon système se passe-t-il de la responsabilité individuelle ?

Une fois l’information et la capacité de jugement garanties, peut-on considérer qu’un dirigeant puisse s’attendre à une exécution parfaite de ses ambitions ? Si en tant que citoyen, j’ai confiance en mes élus et leurs supérieurs, et que je peux rectifier les mauvaises décisions prises, puis-je pour autant me retirer complètement des réflexions sur la cité afin de me consacrer uniquement à mon labeur ? Non, répond Rousseau dans « Du Contrat Social ». Celui-ci s’oppose à une déresponsabilisation du peuple qui serait renvoyé à un simple exécutant : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement ; sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien ». S’il est évident que cela nuit au citoyen lui-même, Rousseau met en avant aussi l’intérêt du souverain qui trouve sa légitimité dans celle que lui accorde son propre peuple : « si donc le peuple promet simplement d’obéir, il se dissout par cet acte, il perd sa qualité de peuple ; à l’instant qu’il y a un maître il n’y a plus de souverain, et dès lors le corps politique est détruit. ». Pas de dirigeant victorieux s’il est décrié par ses propres équipes.

 

Pour revenir au parallèle en entreprise, on comprend ainsi la difficile balance que doit maintenir un PDG : celle de rendre l’exécution opérationnelle la plus simple et évidente possible, tout en laissant libre cours aux critiques venant du terrain afin d’améliorer son efficacité. On trouve notamment cette volonté dans la méthode LEAN, développée par Toyota. Celle-ci pose un cadre très fort (certains diraient rigides) sur la méthodologie, tout en laissant une grande souplesse aux salariés pour prendre des initiatives. Les collaborateurs sont donc invités à suivre des lois (les principes de la méthode) à la lettre, tout en ayant toute latitude pour améliorer l’ensemble du système.

 

La nécessité pour un dirigeant d’être son propre peuple

Nous avons donc vu l’importance pour un dirigeant de conjuguer méthodes d’expression directes et indirectes avec ses collaborateurs. Si un dirigeant ne souhaite pas avoir d’angle mort, il lui faut aller encore plus loin, et parfois devenir « peuple lui-même ». Un dirigeant doit s’assurer d’avoir une certaine hauteur de vue sur la situation de son entreprise et de son marché. Mais il doit aussi plonger dans la mêlée pour saisir les signaux faibles du terrain. Machiavel le dit élégamment : « De même que ceux qui veulent dessiner un paysage descendent dans la plaine pour obtenir la structure et l'aspect des montagnes et des lieux élevés, et montent au contraire sur les hauteurs lorsqu'ils ont à peindre les plaines : de même, pour bien connaître le naturel des peuples, il est nécessaire d'être prince ; et pour bien connaître les princes, il faut être peuple. ». D’où le succès des programmes comme « Patron Incognito » qui placent le CEO comme un nouveau salarié dans sa propre entreprise. Les séquences sont souvent riches en rebondissements… et en enseignements !

 

Sans cette lucidité, le dirigeant est voué à l’échec. Sun Tzu évoque l’importance des attentions symétriques entre l’externe et l’interne : « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connaît mais ne connaît pas l'ennemi sera victorieux une fois sur deux. Qui ne connaît ni son ennemi ni lui-même est toujours en danger. ». Or une rapide analyse des budgets d’une entreprise révèle généralement un triste constat : s’il y a foison de moyens au profit de la compréhension du marché et des clients, rares sont les investissements qui permettent de mieux comprendre ses propres équipes. On préfère investir dans l’expérience client, et peu dans l’expérience salarié. Et même sur les budgets RH, les budgets d’engagement collaborateurs font pâle figure face aux investissements dans le recrutement ou la marque employeur externe.

 

Tirer le meilleur de toutes les démocraties

Il reste bien des choses à dire sur le parallèle entre démocratie et entreprise. Nous n’avons par exemple pas abordé la séparation des pouvoirs, qui est un principe clef. Or, celui-ci s’applique dans les organisations modernes : on délègue une partie de la responsabilité « humaine » à la fonction RH, qui se substitue ainsi au jugement du manager direct. Mais qui donc peut juger du jugement de la fonction RH ? A l’inverse, celle-ci a-t-elle bien les moyens de faire respecter ses jugements ?

 

Quoi qu’il en soit, nos entreprises modernes doivent tirer le meilleur des méthodes démocratiques qui se sont succédées. Pour être efficaces, elles mettent en place des managers qui jouent le rôle de représentant des collaborateurs. Mais ce faisant, elles doivent s’assurer de la légitimité de ceux-ci. Pour ce faire, rien n’est plus efficace que l’expression directe du terrain, véhiculant la réalité quotidienne de l’entreprise à sa direction.

Rédigé par
Kevin Bourgeois
Kevin Bourgeois
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